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Quelles sont les limites du concept d'écodéveloppement ?

Réalisé Par Mr Le directeur du Centre

Université de Picardie Jules Verne

France

Introduction

Le concept d’écodéveloppement est issu d’un ensemble de considérations générales mettant en jeu les réactions à l’absence de gestion du milieu naturel, les causes profondes des problèmes de l’environnement, et les solutions proposées pour remédier aux effets néfastes des politiques de développement actuelles. Ainsi à la lumière des échecs du développement du tiers-monde et de l’appauvrissement des sciences économiques qui ont prétendu attribuer à toute activité humaine une valeur marchande. Il est apparu nécessaire de revoir certains concepts de base de développement. L’écodéveloppement vise à rendre opérationnelle une nouvelle conception de la planification et de l’analyse du développement. 

La conférence de Stockholm en 1972, a popularisé la vision catastrophiste sur l'état de la planète, et notamment de sa biodiversité, et a insisté sur le retour à un état "d'équilibre" résultant du maintien à un niveau constant des populations et du capital. A Stockholm, est apparue l'idée d'écodéveloppement que I.Sachs (1980) définit comme le développement des populations par elles-mêmes, utilisant au mieux les ressources naturelles, s'adaptant à un environnement qu'elles transforment sans le détruire. C'est le développement tout entier qui doit être imprégné, motivé, soutenu par la recherche d'un équilibre dynamique entre la vie et les activités collectives des groupes humains. Mais ce terme d'écodéveloppement, impliquant une critique du libéralisme économique, a été discuté et refusé par les politiques américains qui ont imposé le terme de "sustainable development" diffusé à partir de 1987" (conférence d'Y. Veyret en ligne depuis le site académique de Rouen).

 

I-L’écodéveloppement : un état de l’art

 

Face à l’idée, née de la révolution industrielle du XIXe siècle, selon laquelle le progrès technique assurera une croissance indéfinie et un progrès linéaire, on a assisté à une progressive prise de conscience, à partir des années 1920, relative aux effets négatifs de l’industrialisation sur les milieux naturels, faune, flore, milieux aquatiques…, après la deuxième guerre mondiale, non seulement les constats se sont multipliés dans ce domaine, mais en même temps, de nouvelles réflexions ont montré que la croissance ignore le facteur humain.

En 1968, les travaux du Club de Rome, avec la publication du rapport “Halte à la croissance”, ont été le point de départ d’un très large débat qui a conduit au concept d’écodéveloppement débattu à la conférence de Stockholm en 1972, puis “au développement durable” prôné par le rapport Brundtland, “Notre avenir à tous”, publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement.

La Conférence de Rio, ou Sommet de la terre, de juin 1992, avec ses avancées et ses compromis, a contribué très largement à une prise de conscience planétaire autour de l’idée de développement durable – économique, social, environnemental. Depuis cette date, les États et les acteurs économiques et sociaux, s’efforcent de mettre en œuvre le développement durable.

La critique du Club de Rome prit deux orientations. La pertinence des prévisions fut réfutée en s’appuyant sur la possibilité de mettre à jour de nouvelles réserves soit par l’effet prix (règles de Hötelling) soit par le progrès technique. Cette réfutation adoptait le postulat de la poursuite de la croissance économique puisqu’elle était nécessaire. Les critiques les plus vigoureuses dénonçaient le catastrophisme et le radicalisme du rapport Meadows. Un autre chemin fut suivi par un courant issu de la réflexion sur le développement des pays pauvres. Il visait à concevoir les stratégies permettant d’insérer la protection de l’environnement et des ressources naturelles dans un mouvement combinant réaffirmation de l’objectif du développement et réorientation profonde de ses priorités, de son contenu et de ses modalités. Ce fut, de 1973 à 1979, le temps de l’écodéveloppement naissant (I. Sachs, 1972, 1980). Quelques idées clés en formaient l’armature :

- Critique du marché : comme seul allocataire de bienfaits : les contraintes financières de rentabilité à court terme et les "mécanismes aveugles" (alias lois économiques) sont insuffisantes pour obtenir la meilleure répartition des ressources et la diffusion moindre des pollutions. La nécessaire liberté des transactions ne suffit pas pour satisfaire en priorité les besoins fondamentaux, matériels et immatériels, des populations les plus démunies. La mise en place de moyens d’éducation et de santé, l’émancipation des femmes et la prise d’autonomie des personnes est en mesure d’assurer l’épanouissement des populations, sans confondre autonomie et autarcie.

- Coordination politique : les sociétés et communautés (très souvent fragmentées dans les pays du Tiers-monde) devaient mobiliser les ressources disponibles localement pour développer les capacités. La planification centralisée ayant montré ses défauts et ses inconséquences, le processus d’écodéveloppement nécessitait l’institution d’une instance de “planification” pour coordonner la mobilisation des ressources nécessaires à la répartition de moyens spécifiques (compétences, équipements, capitaux) aux populations, communautés et sociétés locales. L’initiative locale assurait la prise en compte des caractères sociaux et écologiques de la contrée. “…conformément au principe de subsidiarité, le rôle général du centre était de lever les obstacles au développement local, idée qui permettait de retrouver l’étymologie : développer, c’est dégager le grain de son enveloppe…”

- Bouclage de la production : La majeure partie des pollutions provient de l’accumulation de déchets et résidus que les cycles naturels se révèlent incapables de transformer ou d’intégrer dans une chaîne alimentaire. L’extension des pollutions résulte de l’impossibilité d’éliminer de tels produits fatals. Il faut donc mettre en route des technologies qui permettent de boucler les cycles de la matière en faisant des déchets une ressource, dans la limite des coûts supportables, afin, tout à la fois, de préserver des ressources et de limiter les rejets polluants.

- Transformation des technologies : plutôt que de vouloir adapter milieux et populations aux techniques façonnées par et pour l’Occident développé, il faut préférer l’adaptation des techniques aux caractéristiques naturelles et sociales de la communauté d’accueil (problématique des techniques appropriées) ; ceci n’exclut ni les transferts de technologies, ni les apports de la science moderne. La mise en œuvre de stratégies de techniques combinées, insérant des maillons modernes de haute technologie dans des séquences techniques reposant sur des activités de main d’œuvre de qualification faible ou moyenne, fournit une meilleure réponse que l’importation brute des procédés.

- Solidarité avec les générations futures : Les mêmes raisons qui réorientent les technologies, conduisent à ménager les ressources afin de conserver le potentiel pour les futurs habitants et assurer l’équilibre du système. Ceci implique notamment la préservation des écosystèmes et des aménités naturelles.

En effet, l’écodéveloppement souhaitait une mutation des relations économiques internationales. L’une des conditions de succès était de stabiliser les cours des matières premières exportées par les pays en développement dans le cadre de contrats d’approvisionnement de longue durée. Une autre condition supposait des coopérations scientifique et technique sur la base de l’économie des biens publics. L’inégalité de situation ne pouvait pas s’accompagner d’une asymétrie de même direction. On parlait alors de nouvel ordre économique international.

Le terme d’écodéveloppement a été formulé pour la première fois en 1972 par Maurice Strong, qui était le secrétaire général de la conférence de Stockholm sur le développement et l’environnement. Il servira de référence au PNUE au cours des années 1970 avant d’être marginalisé et supplanté dans les années 1980 par le concept de développement soutenable, entendu dans son acception faible par les institutions internationales. Ce rejet s’explique par le fait que l’écodéveloppement, comme on a pu le constater avec la déclaration de Cocoyoc en 1974, propose un projet radical qui entend rompre avec l’optique libérale qui revient en grâce dans les années 1970 et qui, malheureusement, « triomphera » dans les années 1980-1990. Mais c’est la crainte qu’il puisse donner lieu à une modification des rapports de force au sein de ce que Braudel appelle « l’économie monde », et en particulier à une émancipation des pays du Tiers monde, qui va entraîner la « défaite » (provisoire nous l’espérons) de l’écodéveloppement. Mais en quoi ce projet est-il apparu « subversif » aux yeux des « puissants » ? Quelles en sont les bases ? Pour avoir une idée précise de ce qu’est l’écodéveloppement, il convient de se pencher sur les écrits de son principal théoricien, Ignacy Sachs, qui fut le secrétaire de Maurice Strong lors des conférences de Stockholm et Rio. Une mention spéciale doit aussi être attribuée à Marc Nerfin qui fut à l’origine de la Fipad dont les nombreux travaux ont permis d’enrichir ce concept. Le point de départ de Sachs est la dénonciation du « mal développement des pays dits développés et les conséquences qu’il provoque sur le reste du monde par domination, par effets d’entraînement et par imitation du modèle » (Sachs, 1980, p.15). Cette crise doit nous amener à questionner la nature de la croissance et à quelles conditions, sociales et écologiques, elle est acceptable. Pour lui, l’écodéveloppement n’est en aucun cas une théorie mais bien une philosophie — ou une éthique — du développement qui doit s’appliquer tant aux pays développés qu’en développement et qui correspond à un projet normatif. Le mal développement qu’il observe est le résultat d’un double gaspillage causé par une mauvaise répartition des richesses. D’un coté « les riches surconsomment et drainent de cette façon la grande majorité des ressources disponibles ; ils le font par surcroit en utilisant très mal de vastes espaces de terres potentiellement agricoles. Les pauvres sous-consomment et, acculés par la misère, ils sur utilisent les rares ressources auxquelles ils ont accès.  

L’écodéveloppement ambitionne quant à lui une modification des rapports entre Etat, marché et société civile au profit de cette dernière. Il n’est cependant pas question d’abandonner le marché ou de renforcer exagérément le rôle de l’Etat. Dans ce cadre, le rôle du planificateur est de négocier avec les différentes parties afin d’obtenir une position commune acceptable. Mais pour être efficace, le planificateur doit être attentif à la diversité des situations et se doit de recueillir un maximum d’informations, ce qui suppose une participation la plus large possible des populations locales afin de bien identifier les problèmes et les besoins des populations mais aussi les potentialités du milieu naturel local (Sachs, 1980, p.32-33 ; Godard, 1998, p.224).

En effet, l’« écodéveloppement » propose une nouvelle vision des interdépendances entre l'environnement et la croissance démographique et économique. La démarche d’écodéveloppement implique une mobilisation et une concertation entre acteurs, d’abord pour définir un périmètre d’intervention pertinent, ensuite pour mesurer les enjeux environnementaux, sociaux et économiques qui s’y rattachent, pour enfin définir les objectifs et actions à programmer et réaliser sur le terrain.

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Le développement durable puisait désormais ses origines dans la culture anglo-saxonne (à l’image même de la Corporate Social Responsability qui prend forme lors de la création du WBCSD, World Business Council on Sustainable Development, en 1995) et devait obéir aux trois critères suivants : justice sociale, prudence écologique et efficacité économique. Bien que les deux concepts soient très proches, il convient de souligner quelques différences importantes (Figuière, 2006). Premièrement, Ignacy Sachs (1978) rappelle qu’à l’origine, le concept de l’écodéveloppement correspondait à une stratégie de développement rural dans le Tiers Monde, fondée sur l'utilisation ingénieuse des ressources locales et du savoir-faire paysan. Par la suite (Déclaration de Cocoyoc, 1974), ce terme a pris les traits « d’un développement endogène et dépendant de ses propres forces (self-reliant), soumis à la logique des besoins de la population entière et non de la production érigée en fin en soi, enfin conscient de sa dimension écologique et recherchant une symbiose entre l'homme et la nature» (Sachs, 1978, p. 17).

Cette figure esquisse une approche systémique en insistant sur les relations d’interdépendance entre les différentes variables de l’écodéveloppement : « L’approche systémique est inhérente au concept d’écodéveloppement dans la mesure où il prône une vision holistique et horizontale du développement, s’opposant aux vues sectorielles et verticales » (Sachs, 1990, p. 6). Le niveau A présente la demande sociale, abordée par le bais d’une théorie de la consommation généralisée. Le niveau B traite de l’adéquation de l’offre et la demande sociale. Le niveau C évoque les impacts sur l’environnement. Chaque niveau présente des politiques spécifiques représentées par des boucles. L’écodéveloppement devait s’inscrire dans un schéma de planification (Sachs, 2008) tout en restant ouvert aux dimensions écologiques et culturelles de nos différents systèmes : « L’écodéveloppement n’est rien d’autre que la sensibilisation du planificateur à la double dimension de l’écologie et de l’anthropologie culturelle » (Sachs, 1978, p. 22). L’écodéveloppement exigeait une action concertée de tous les acteurs sociaux, un rééquilibrage des pouvoirs et des rôles au sein de l’économie réelle entre la société civile, l’Etat et les entreprises ainsi qu’une articulation explicite entre les espaces du développement, du local au transnational, en passant par les échelons intermédiaires (le régional, le national). C’est un moyen de faire face aux dysfonctionnements du marché (inégalités économiques et sociales, pauvreté, déséquilibres environnementaux) et d’obliger les entreprises à internaliser les coûts sociaux et écologiques de leurs activités.

En effet, Ignacy Sachs (1994, p. 54) insistait sur le fait que l’écodéveloppement était une démarche opérationnelle qui devait harmoniser les cinq critères suivants : (i) la pertinence sociale et l’équité des solutions proposées ; (ii) la prudence écologique (il ne serait plus possible d’externaliser les effets environnementaux de nos actions) ; (iii) l'efficacité économique (il s'agit notamment cependant de mieux situer l'économique et de mesurer son efficacité à l'aune des critères macro-sociaux et non simplement de rentabilité micro-économique) ; (iv) la dimension culturelle (les solutions proposées doivent être culturellement acceptables, ce qui renvoie à un des problèmes les plus difficiles pour le « développeur » : celui de proposer le changement dans la continuité culturelle en évitant d'imposer des modèles exogènes mais, en même temps, en refusant de s'enfermer dans le traditionalisme immobile) ; (v) la dimension de territorialité (qui insiste sur la nécessité de rechercher de nouveaux équilibres spatiaux, les mêmes activités humaines ayant des impacts écologiques et sociaux différents selon leur localisation). Ignacy Sachs (1997, p. 84-85) précisera ces solutions gagnantes passent « par le respect simultané d’indicateurs sociaux, culturels, écologiques, environnementaux, territoriaux, économiques, politiques, internationaux ».

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L’écodéveloppement fût ainsi pensé comme « un ensemble de critères normatifs et de questionnements plutôt qu’un modèle rigide » (Sachs, 1990, p. 3

  1. Critères sociaux : niveau acceptable d’homogénéité sociale, distribution équitable des revenus, plein emploi ou sécurité ‘emploi assurant un niveau de vue acceptable, accès équitable aux ressources et aux services sociaux.
  2. Critères culturels : le changement dans la continuité (équilibre entre le respect des traditions et l’innovation), la possibilité de concevoir un programme national de façon indépendante : autonomie personnelle, l’endogénéité (plutôt que la confiance aveugle dans des modèles étrangers), la confiance en soi alliée à une ouverture sur le monde.
  3. Critères écologiques : la protection des capacités de renouvellement des actifs naturels, le contrôle des limites d’utilisation des ressources non renouvelables.
  4. Critères environnementaux : la protection et l’amélioration des capacités d’autoépuration des écosystèmes naturels.
  5. Critères territoriaux : l’instauration d’un équilibre entre les aménagements ruraux et urbains (renverser les tendances favorisant l’allocation des fonds publics aux zones urbaines), l’amélioration des paysages urbains, la lutte contre les disparités régionales, l’application des stratégies de développement respectueuses de l’environnement pour les zones écologiques fragiles (conserver la biodiversité par la pratique de l’écodéveloppement).
  6. Critères économiques : le développement équilibré des différents secteurs, la sécurité alimentaire, la capacité de modifier sans cesse l’appareil de production, un degré d’autonomie suffisant en matière de recherches scientifiques et technologiques, l’intégration au marché international dans le respect des souverainetés nationales.
  7. Critères politiques : l’application universelle (et nationale) de principes démocratiques fondés sur l’ensemble des droits de l’homme, la capacité de l’Etat à partager avec tous ses partenaires sociaux la mise en œuvre des projets de développement, un niveau de cohésion acceptable.
  8. Critères internationaux : une Organisation des Nations Unies (ONU) capable d’empêcher les guerres, d’assurer la paix mondiale et de promouvoir efficacement la coopération au niveau international, un pacte Nord-Sud pour un partage du développement fondé sur le principe de l’équité (la juste redistribution du fardeau pris en charge par les partenaires plus faibles), le contrôle institutionnel efficace des finances internationales et du commerce mondial, le contrôle institutionnel efficace des mesures de protection de l’environnement et des ressources naturelles, la prévention des impacts négatifs des changements prévisibles à l’échelle du globe, la conservation de la diversité biologique (et culturelle) et la gestion du patrimoine mondial en faveur des générations futures, un système efficace de coopération scientifique et technologique internationale, l’appréciation de la science et de la technologie en tant qu’héritage commun de l’humanité.

 

II- Limites du concept

 

  • Les représentations Nord-Sud du développement et environnement

La mise en relation du réchauffement de la planète, de l’émergence des marchés de droits à polluer et des questions de développement au Sud constitue une autre question socialement vive. Elle a cristallisé les tensions lors du colloque de Doha en décembre 2012. La question en apparence simple mérite que l’on s’y attarde : face aux signes de plus en plus marqués de l’instabilité climatique, il faut une action radicale, doit-on aller jusqu’à demander aux pays du Sud de réduire leurs émissions de CO2 et d’appliquer des quotas restrictifs. A première vue, il paraît difficile, au nom de l’histoire économique du monde occidental (révolution industrielle) et de l’équité, d’interdire aux pays du Sud d’augmenter leurs émissions de CO2 pour s’industrialiser et se développer (Norberg-Hodge, 2008). Et pourtant, un tel raisonnement bute sur deux écueils.

Premièrement, il repose sur l’hypothèse que le modèle de développement des pays du Sud doit se calquer sur celui des pays du Nord, quitte à faire les mêmes erreurs et à déboucher sur les mêmes impasses. Nous serions ainsi dans un schéma à la Rostow29 (1974). Or il paraît évident que les pays du Sud ne pourront pas suivre la voie pratiquée par les pays du Nord. L’histoire et l’industrialisation des pays du Nord reposent sur la colonisation des pays du Sud, sur l’exploitation (voire l’épuisement) de leurs ressources naturelles, sur le déni d’un quelconque effet externe sur la nature, sur l’aliénation du travail au capital, sur la montée des valeurs individuelles. La croissance et le développement des pays du nord se sont ainsi effectués au détriment des pays du Sud. Le monde n’est pas pavé de bonnes intentions, il suit les règles du jeu édités par certains, et ce jeu est impitoyable, il est à somme nulle (les gains des uns reposent sur des pertes des autres). La plupart des pays du Sud n’ont pas de colonies (même si certains continuent à revendiquer l’annexion de territoires limitrophes) qu’ils peuvent exploiter (main d’œuvre et ressources naturelles); leurs capacités d’extension sont limitées (certains comme la Chine rachète des terres pour faire face aux besoins alimentaires de sa population et aux risques climatiques). Deuxièmement, le principe de l’équité ne tient pas compte d’un fait important : le développement économique, la mondialisation des échanges et la globalisation financière n’ont jamais profité au plus grand nombre, mais à une élite, présente dans les pays du nord comme dans le pays du Sud. Ainsi, la montée des inégalités, la pauvreté et les phénomènes de pollution, inhérents au mode de développement occidental (capitalisme, marchandisation), touchent à la fois les deux parties du globe (on peut parler aujourd’hui de pauvreté absolue dans les pays du Nord). Comme la plupart des biens consommés par les pays du Nord sont produits dans les pays du Sud, que les firmes multinationales y bénéficient d’une main d’œuvre bon marché, d’une législation quasi-inexistante (ou d’une administration corrompue) et de ressources naturelles en abondance, et que les modèles des pays du Nord reposent sur des ressources protégées et des salaires élevés, Walden Bello (directeur de Focus On Global South) a émis l’hypothèse que les Etats Unis, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée et le Canada auraient formé une alliance pour promouvoir, dans le cadre des accords de Kyoto, « la notion de réduction volontaire plutôt qu’obligatoire des émissions » (Norberg-Hodge, 2008, p. 10). Ce serait en quelque sorte une stratégie objective visant à laisser leurs élites échapper à toute forme de responsabilité environnementale. Les élites seraient ainsi incapables de formuler d’autres visions du monde que celle de la mondialisation des échanges et de la globalisation financière. De ce fait, elles deviendraient stériles (Zaoual, 2006).

  • Croissance économique et environnement : oppositions ou conciliations

Nous retrouvons ici l’idée développée par Kalecki, puis par Sachs, que la croissance n’est pas l’ennemie du développement, à condition qu’elle s’accompagne d’une redistribution des richesses favorable aux classes sociales les moins aisées et d’une gestion prudente des ressources naturelles. Ignacy Sachs, né à Varsovie (Pologne) en 1927, ayant grandi au Brésil, installé en France, et ayant vécu aussi en Inde, est un professeur français de socio-économie considéré comme l'un des plus réputés, connu dans le monde entier en tant que pionnier dans le champ de l'écodéveloppement et du développement durable. Il propose un développement conciliant la protection des ressources naturelles et de l'environnement, la lutte contre le changement climatique et le progrès socioéconomique, avec une économie au service des Hommes.

Or, l’écodéveloppement se veut donc une stratégie opérationnelle combinant la croissance avec la protection de l'environnement. Donc savoir comment positionner la croissance économique par rapport à la protection de l'environnement, dans le but de se préoccuper des oppositions ou conciliations possibles entre les deux concepts, constitue la bonne réponse à la bonne question. En effet La croissance économique constitue seulement un indicateur indirect et incomplet des atteintes à l'environnement. Il existe néanmoins des corrélations certaines, ne serait-ce que parce que les activités humaines ont des impacts sur l'environnement, et que dans des systèmes monétarisés, ces activités sont reflétées dans le PIB. Ces atteintes sont d'autant plus grandes, que l'on se situe à des niveaux intenses de consommation de ressources naturelles et d'impacts. C'est notamment le cas dans les pays de l'OCDE, où les hausses supplémentaires de consommation dénotées par une hausse du PIB s'ajoutent à des niveaux déjà élevés, du fait de structures très énergivores et dévoreuses de ressources naturelles. Toutefois, dans des pays pauvres également, certaines activités humaines peuvent être défavorables à l'environnement, sans que cela ne soit reflété autant dans le PIB, et avec des impacts humains plus directs et plus forts sur les populations. Dans le cadre de théories axées sur l'environnement et le développement durable, ces éléments ont été interprétés selon diverses analyses depuis les années 1970, et même avant. Certaines approches insistent sur les menaces dues à la croissance des activités économiques, d'autres cherchent les conditions pour les rendre compatibles avec l'environnement et le progrès humain, d'autres enfin minimisent la portée des problèmes environnementaux en considérant qu'une compatibilité se produira par la poursuite du développement économique.

Dans ces débats, on ne peut envisager la croissance économique de façon détachée comme un paramètre qu'il serait loisible de modifier sur base d'une décision rationnelle, même si dans certains cas sa poursuite apparaît nuisible et injustifiée selon un certain nombre de paramètres. Nous avons au contraire voulu rappeler combien cette partie émergée de l'iceberg appelée croissance économique est foncièrement sous-tendue par des logiques diverses et puissantes, des intérêts et des valeurs. L'influence keynésienne qui a suivi la Grande dépression a permis de construire des instruments, à commencer par le PIB, permettant d'orienter en partie l'économie vers des buts favorables à la société dans les pays dits développés. A cette époque, et durant les 30 Glorieuses, s'est forgée l'idée que la hausse de ce PIB est empiriquement associée à la création d’emplois. La question de l'environnement était accessoire et peu significative par rapport à cet axe central. C'est sans doute une raison fondamentale expliquant les difficultés à intégrer cette question de façon cohérente dans les systèmes actuels. Aujourd'hui, des avocats de la décroissance cherchent à alléger le fardeau immense que fait peser la consommation des ressources sur les équilibres naturels. Mais de combien réduire dans l'immédiat la croissance économique pour faire une réelle différence, et surtout comment ? la crise financière majeure apparue de 2008-2009 jettera sans nul doute de nouveaux éclairages sur ces débats. A court terme, en effet, une diminution des émissions nocives de gaz à effet de serre et de la consommation du pétrole apparaît du fait du ralentissement industriel et de certains changements de comportement. Mais personne ne pense qu'il s'agit là d'une solution soutenable. Le système basé sur la croissance économique est tel que les transitions sont difficiles et conflictuelles. Il est certainement essentiel d'envisager des modèles différents et plus soutenables. Si l'on prend du recul on peut dire en effet que la société de consommation sera écologiquement insoutenable38, et que des figures de réconciliation avec la nature sont à trouver, tenant compte de l'équité, des besoins essentiels et du temps long. Mais outre le dessin politique, économique et social à préciser dans ce type de proposition, il sera aussi important de tracer des stratégies de changement politique.

Il est possible que les années que nous vivons voient une plus importante prise au sérieux des facteurs environnementaux, énergétiques et naturels dans les décisions économiques majeures, en raison du fait que ces facteurs se manifestent avec plus de sévérité que par le passé. Hausse des prix alimentaires, des matières premières et du pétrole sont des éléments qui ont marqué particulièrement l'économie mondiale, et les économies nationales, en 2007-2008 (même si ces prix sont retombés par la suite), manifestant des éléments de théorie du développement durable présents depuis des décennies, mais n'ayant eu jusque-là qu'une influence relative sur les décisions les plus importantes. Pour ne prendre que l'exemple du pétrole, certains analysent la hausse de son prix aux Etats-Unis comme une contribution sensible à la baisse du pouvoir d'achat de ménages américains et à la dépréciation de certaines propriétés immobilières, plus spécifiquement celles dont la localisation implique davantage de déplacements automobiles, avec pour conséquence le déclenchement de la crise des subprimes. C'est par toute une série de stratégies, de politiques et de décisions différenciées selon les domaines et les régions, mais toutes orientées vers une diminution d'impacts non soutenables sur les ressources naturelles et l'environnement, que des évolutions devraient être progressivement corrigées, même si cela ne suffira pas à modifier les modèles socioéconomiques. Citons à titre non limitatif quatre types d'évolutions nécessaires en ce sens.

Durant cette décennie et la prochaine, des investissements considérables conditionneront le futur de la production de l'énergie et par conséquent les impacts climatiques pour longtemps ; il s'agit d'un élément crucial à ne pas manquer. Deuxième vaste chantier, celui des créations d'emplois dans des secteurs favorables à l'environnement : que ce soit via des relances sélectives dans les pays menacés aujourd'hui de récession, ou encore par nombre d'actions de développement durable économiquement favorable dans des pays du sud, le potentiel est grand pour des créations ou réorientations d'emplois. Dans des régions pauvres, des problèmes environnementaux graves handicapent directement la santé et la satisfaction de besoins, et c'est un troisième domaine où des progrès sont indispensables. Les systèmes où nous vivons présentent des fragilités importantes, à la fois sous l'angle des risques industriels et des risques financiers.

Ces quatre types de problèmes - pour ne prendre que ceux-là - ne sont pas conditionnés par le fait d'augmenter ou de diminuer la croissance économique dans les prochaines années, mais par le choix des moyens de correction qui devront être de différentes natures et être mis en œuvre sous peine d’infliger des dommages cruciaux à la croissance peut-être, mais ce qui est plus grave, au monde vivant et aux hommes.

 

 

  • Les impacts de la croissance sur l’environnement

1. Analyser les interactions entre économie et environnement suppose de préciser ce que l’on entend par  «environnement ». Ce dernier peut être défini comme les actifs qui ne sont pas produits par les activités  humaines, tels que l’air, l’eau, les forêts, la biodiversité, les roches, la faune, la flore, etc. L’activité  économique vient affecter ces différents composants, soit en rejetant des polluants dans l’air, l’eau et les sols,  soit en produisant des déchets, du bruit, de l’atteinte à la biodiversité, soit en prélevant des ressources rares  ou en danger.

2. La croissance s’accompagne donc de destructions irréversibles car toute production et toute consommation  est destruction de richesses :

  • L’épuisement des richesses naturelles. La fin du pétrole est annoncée pour le XXIe siècle. Le poisson est en  train de disparaître. La déforestation progresse toujours. La terre et de l’eau s’épuisent (salinisation des  terres, insuffisance des réserves en eau…) ce qui peut engendrer de nouveaux conflits pour leur partage. Une  partie de ce capital naturel n'est pas reproductible. Ainsi, la consommation annuelle de pétrole dépasse les nouvelles découvertes de pétrole depuis le milieu des années 1980.  Le dernier Rapport mondial sur le développement humain met l’accent sur une série de pertes qui risquent de  remettre en cause le développement humain :
  • La dégradation des sols et des ressources en eau s’accélère : l’érosion des sols, la perte de fertilité et le surpâturage affecte près de 40 % des terres arables. À l’extrême, la surexploitation peut  transformer une terre arable en désert. Les prélèvements d’eau ont triplé au cours des cinquante  dernières années. Le pompage des aquifères dépasse leur remplissage naturel, entraînant la  disparition des nappes phréatiques. Les causes principales ? La destruction des zones humides, des  plans d’eau et des châteaux d’eau naturels pour faciliter l’utilisation industrielle et agricole.  L’agriculture représente 70 à 85 % de la consommation d’eau, et on estime que 20 % de la production  céréalière mondiale utilise l’eau de manière non durable. Or la demande d’eau pour la production  alimentaire devrait doubler d’ici 2050.
  • La déforestation : le couvert forestier de la planète aujourd’hui représente à peine 60 % de ce qu’il  Était au temps de la préhistoire.
  • La surpêche : Les prises de poissons annuelles moyennes, qui s’élèvent à 145 millions de tonnes,  Sont très supérieures au rendement durable annuel maximum de 80 à 100 millions de tonnes.
  • La réduction de la biodiversité : 67 000 espèces animales et végétales sont en voie de disparition. A tel point  que des scientifiques, de plus en plus nombreux, n'hésitent pas à parler d'une « sixième extinction », succédant aux cinq précédentes - dues à d'importantes modifications naturelles de l'environnement - qui ont  scandé la vie sur Terre. L'homme en est directement responsable, en particulier par la fragmentation des  habitats, l'exploitation directe des espèces ou encore la destruction des écosystèmes les abritant. Ainsi, le  poisson est en train de disparaître et les pêcheries industrielles sont en train de racler le fond des océans pour  continuer leur activité.
  • En 1700, seuls 5% des terres de la biosphère étaient accaparés par des activités humaines intensives (agriculture, villes), 45% étaient dans un état semi-naturel et 50% totalement sauvages.
  • En 2010, 55% de la biosphère étaient accaparés par des activités humaines intensives, 20% étaient dans un état semi-naturel et 25% sauvages.

 

Conclusion

 

En conclusion, l’écodéveloppement est un style de développement qui, dans chaque écorégion, insiste sur les solutions spécifiques à ses problèmes particuliers, compte  tenu des données écologiques, mais aussi culturel les, des  nécessités immédiates, mais aussi à long terme. Il opère  avec des critères de progrès relativisés par rapport à  chaque cas, l'adaptation au milieu, postulée par les anthropologues, y jouant un rôle important. Sans nier l'importance  des échanges dont le but doit être revu, il essaie de  réagir à la mode prédominante pour les solutions prétendument universalistes et les formules passe partout. Au  lieu de faire une place par trop grande à l'aide extérieure,  il fait acte de foi en la capacité des sociétés humaines  à identifier leurs problèmes et à leur apporter des solutions originales, tout en s'inspirant des expériences des  autres. S'inscrivant en faux contre les transferts passifs  et l'esprit d'imitation, il met  à l'honneur la self-reliance.  Sans basculer dans un écologisme outrancier, il suggère  au contraire qu'un effort créateur pour profiter de la marge  de liberté offerte par le milieu est toujours possible,  pour grandes que soient les contraintes climatiques et  naturelles. La diversité des cultures et des réalisations  humaines obtenues dans des milieux naturels comparables en témoignent élogieusement. Mais la réussite passe  par la connaissance du milieu et la volonté de parfaire un équilibre durable entre l'homme et la nature.  Le champ d'application des stratégies d'écodéveloppement  englobe la production alimentaire, l'habitat (et par extension l'urbanisation des régions-frontières), la production et  la consommation énergétique, l'industrialisation des ressources renouvelables, les travaux de conservation des ressources naturelles, et les services sociaux. Dans l'ensemble, ces applications font surtout appel à  des éco-techniques appropriées au milieu naturel et social. Cependant, leur portée pratique ne dépend pas principalement de facteurs techniques ou de conditions économiques  favorables. Elle est surtout fonction de changements institutionnels. Parmi lesquels trois paraissent essentiels : l’existence d'une directive d'action, un ensemble cohérent  de choix à long terme ; la participation de la population  non seulement au stade d'exécution, mais aussi au processus de décision et d'élaboration des programmes de développement ; et un vigoureux effort de recherches dégagées de tout préjugé, comparatives dans le temps et dans  l'espace, et interdisciplinaires.

A contrario, le concept d’écodéveloppement a fait l’objet de vives critiques de la part des pays du Nord comme des pays du Sud. Pour la plupart des protagonistes du dossier, il était hors de question de ralentir le rythme de la croissance économique (rythme nécessaire pour réduire le chômage dans les pays Nord et accroître le développement économique dans les pays du Sud). La seule concession consista à préciser que « si la croissance économique en constituait une condition nécessaire, elle ne devait plus être considérée comme une fin en soi ni comme une condition suffisante du développement » (Sachs, 1997, p. 83).

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Bibliographie

 

Sachs I. (2008), La troisième rive – A la recherche de l’écodéveloppement, Bourin Editeur.

Sachs I. (1993), L’écodéveloppement, Syros, Paris.

Sachs I. (1990), « L’écodéveloppement de l’Amazonie: stratégies, priorités de recherche, coopération internationale », Cahiers du Brésil Contemporain, n°11.

Sachs I. (1980), Stratégies de l’écodéveloppement, Paris, Ed. Economie et humanisme et les Editions Ouvrières.

Sachs I. (1978), « Ecodéveloppement : une approche de planification », Economie Rurale, n°124, p ; 16-22.

Eric BERR  ‘Le développement soutenable dans une perspective post keynésienne : retour aux sources de l’écodéveloppement’ Université de Bordeaux GREThA UMR CNRS 5113

Arnaud Diemer UBP Clermont-Ferrand, CERDI, TRIANGLE  ‘Développement durable plutôt qu’écodéveloppement : le nouveau gadget idéologique de l’occident’ ?

l gnacy SACHS et O. CARDETTINI  ‘Stratégie d’écodéveloppement dans le Tiers-Monde’ Aménagement et Nature n• 37

Edwin Zaccai ‘Pour protéger l'environnement, faut-il abattre la croissance ?’ A paraître dans Heering A. et Leyens S. (éds.), Stratégies de développement durable. Développement, environnement ou justice sociale ?, Presses Universitaires de Namur, 2009, ISBN 978-2-87037-613-3

Olivier Godard  Directeur de recherche au CNRS ‘L’écodéveloppement’ revisité Parution dans la revue Economies et sociétés, Cahiers de l’ISMEA ‘Pour aborder le XXIe siècle avec le développement durable’, Série F ‘Développement, croissance et progrès’, 36(1), janvier 1998, pp. 213-229

 

 

 

 

 

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