Schumpeter reste-t-il d’actualité

Recherche Académique sur l’Economie de l’Innovation

Réalisé Par Le Directeur du Centre

Université de Picardie Jules Verne

France

 

Les médias présentent journellement la compétition entre nations comme un problème de compétitivité. Les exemples allemand et japonais montrent que la qualité des produits, leur aspect novateur sont des éléments importants. Ce faisant, on introduit le rôle fondamental de la recherche pure, donnant naissance aux inventions, et de la mise sur le marché de ces produits, c'est-à-dire l’innovation. Ainsi, on réaffirme l’actualité de l’analyse de J.A. Schumpeter (1883-1950). Cet économiste américain d’origine autrichienne, tout en étant libéral, emprunte à plusieurs écoles, ce qui en fait un “ inclassable ”. Sa pensée n’est pas réductrice : il intègre l’histoire économique et sociale, ainsi que des éléments sociologiques. Ouvrages principaux : “ théorie de l’évolution économique ” (1912), “ business cycles ” (1939), “ capitalisme, socialisme et démocratie ” (1942), “ histoire de l’analyse économique ” (1954). Par rapport au libéralisme « standard », il s’intéresse à la croissance à long terme et réfute ainsi l’idée d’une tendance longue vers l’état stationnaire. Comme « hétérodoxe », il n’hésite pas à faire référence à Marx, et intègre dans ses travaux des études sociales et politiques.  Dans un article de Jean-Sylvestre Mongrenier publié dans le journal marocain le matin, l’auteur  affirme que  la crise économique déclenchée par la chute de Lehman Brothers et le krach boursier du 15 septembre 2008 avait été l’occasion d’un grand happening sur la victoire finale de Keynes et des néo-keynésiens et même le retour de Karl Marx. Les politiques de relance alors préconisées et la vision d’un État omniscient, omnipotent et bienveillant sont venues se fracasser sur le mur des dettes souveraines. Cette crise globale a mis en évidence le décalage entre les structures politico-économiques européennes (l’État-providence) d’une part, le nouvel état du monde et l’affirmation des économies émergentes d’autre part. Aussi, la relecture de Schumpeter s’impose-t-elle. Conjuguant théorie et histoire, politique et psychologie, ses analyses vont au fond des choses ; elles peuvent féconder les situations et imprimer une nouvelle direction.

  • Le concept de l’innovation dans la pensée schumpetérienne

Si le terme « innovation » est apparu dans la langue française dès la fin du 13ème siècle, il semble que l’économiste Joseph Schumpeter, soit à l’origine des premiers développements à son sujet dans le domaine des sciences sociales. Pour celui-ci, l’innovation est le seul moteur de l’évolution et de la croissance économique. Sans innovation, l’économie serait stationnaire, elle ne connaîtrait que des transformations « que l’on peut considérer comme plus petites que toute grandeur donnée, si petite soit-elle, et dans un cadre toujours identique ». L’innovation représente un tout autre type de transformation, c’est une transformation « qui modifie le cadre » (Schumpeter, 1935, p.87).

Schumpeter conçoit l’innovation comme une nouvelle combinaison des moyens de production : « Produire, c’est combiner les choses et les forces présentes dans notre domaine. Produire autre chose ou autrement, c’est combiner autrement ces forces et ces choses. Dans la mesure où l’on peut arriver à cette nouvelle combinaison en partant de l’ancienne avec le temps, par de petites démarches et une adaptation continue, il y a bien une modification, éventuellement une croissance, mais il n’y a ni un phénomène nouveau [...] ni évolution [...]. Dans la mesure où [...] au contraire, la nouvelle combinaison ne peut apparaître et de fait n’apparaît que d’une manière discontinue, alors prennent naissance les phénomènes caractéristiques de l’évolution » (Schumpeter, 1935, p.94).

L’innovation consiste donc en l’exécution de nouvelles combinaisons. Pour Schumpeter, ce concept englobe les cinq cas suivants :

  1. fabrication d’un bien nouveau, c’est-à-dire encore non familier au cercle des utilisateurs ou consommateurs, ou d’une qualité nouvelle d’un bien existant ;
  2. introduction d’une méthode de production nouvelle, c’est-à-dire pratiquement inconnue de la branche concernée de l’industrie ; il n’est nullement nécessaire qu’elle repose sur une découverte scientifiquement nouvelle et elle peut aussi résider dans de nouveaux procédés commerciaux pour une marchandise ;
  3. ouverture d’un débouché nouveau, c’est-à-dire d’un marché où, jusqu'à présent, la branche concernée de l’industrie du pays intéressé n’a pas encore introduit le bien, que ce marché ait préexisté ou non ;
  4. conquête d’une source nouvelle de matières premières ou de produits semi-ouvrés ; à nouveau, peu importe qu’il faille créer cette source ou qu’elle ait existé antérieurement, qu’on ne l’ait pas prise en considération ou qu’elle ait été tenue pour inaccessible ;
  5. réalisation d’une nouvelle organisation, comme la création d’une situation de monopole  ou l’apparition brusque d’un monopole. (Théorie de l’évolution économique, édition Dalloz).

Les innovations sont à l’origine des périodes d’essor et donc de crise, L’enchaînement de crises et de périodes d’essor est expliqué par Schumpeter exclusivement par le fait que l’exécution de nouvelles combinaisons n’est pas également répartie dans le temps. Les nouvelles combinaisons, si elles apparaissent, apparaissent par groupes et non pas une à une selon une fréquence déterminée. « Si les entreprises nouvelles apparaissaient indépendamment les unes des autres, il n’y aurait, à notre sens, ni essor ni dépression en tant que phénomènes particuliers, discernables, frappant, périodiques. [...] Il n’y aurait pas de perturbations notables du circuit, par conséquent il n’y aurait pas non plus de perturbations de la croissance générale de l’économie ». (Schumpeter, 1935, p.325).

Selon Schumpeter, trois circonstances renforcent l’action de l’apparition massive de nouvelles entreprises, de façon interdépendante :

  1. les nouvelles combinaisons ne sortent pas le plus souvent des anciennes mais se dressent à côté d’elles et leur font concurrence ;
  2. la demande massive des entrepreneurs, qui signifie avant tout l’apparition d’un nouveau pouvoir d’achat, déclenche une vague secondaire d’essor qui s’étend à toute l’économie.
  3. les erreurs dues à l’essor, erreurs dues au caractère incertain du succès que vont rencontrer les nouvelles combinaisons, jouent un rôle notable dans l’apparition et le cours de la dépression.

La théorie de Schumpeter s’inscrit dans la même démarche que celle vulgarisée à partir des travaux de l’économiste soviétique Kondratiev. Ce dernier a tenté de démontrer l’existence de cycles longs du

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capitalisme (ondes longues / long waves). Un cycle se définit par l’enchaînement mécanique récurrent suivant : expansion / crise / dépression / reprise. On repère une phase d’expansion à l’accroissement durable de la production ou des prix (et inversement). La durée moyenne de tels cycles serait de 50 ans. Ils seraient récurrents, d’où le nom de cycles. Cela donnerait au capitalisme un caractère non stationnaire (remise en cause de la thèse libérale), et non déterminé (remise en cause de la thèse marxiste). Sous forme de schéma :    

BLa dynamique du capitalisme selon Schumpeter : la « destruction créatrice »

la destruction créatrice est, selon Schumpeter, le processus par lequel des entreprises nouvelles, fondées sur des innovations, se substituent à des entreprises vieillies et routinières, ce qui provoque une disparition des firmes et branches anciennes, donc une « destruction », mais aussi l’apparition de nouveaux secteurs porteurs, la « création ».Elle a des effets ambivalents :

  • elle a des effets dépressifs : la concurrence accrue pour les entreprises vieillies conduisant aux restructurations, au désinvestissement, au chômage.
  • mais elle a également des effets expansifs : investissements forts et créations d’emplois dans les activités nouvelles, développement économique grâce à l’élévation du niveau de vie.

Démonstration :

 

  • phase d’expansion :

en phase d’expansion, les innovations majeures permettent à ceux qui les maîtrisent de disposer d’un monopole temporaire => superprofits dans la branche innovante => attraction d’investisseurs attirés par ces profits => effets d’entraînement amont-aval ( plus de commandes aux autres secteurs, par exemple) => plus d’investissements => accélération croissance économique => créations d’emplois, surchauffe (la demande est trop forte hausse prix, hausse TXI car trop d’investissements à financer) => dégradation de la rentabilité des activités nouvelles.

 

  • Phase de dépression:

saturation marché des innovations + destruction des activités anciennes => baisse des profits dans les secteurs innovants, restructurations dans les secteurs vieillis => désinvestissements, licenciements, restructurations => recul de l’activité => baisse Demande => dégradation de la conjoncture, baisse prix, baisse des TXI => capitaux disponibles pour financer les prochaines innovations (on retrouve le constat empirique du précédent, à savoir la montée des inventions durant la phase B).

 

Selon Schumpeter, l'entrepreneur est au cœur de l'analyse. Un entrepreneur est un innovateur, c'est à dire quelqu'un qui brise la routine. Il faut donc savoir innover ce qui n'est pas le cas de tous les producteurs. Une innovation, c'est l'application industrielle et commerciale d'une invention. Un innovateur n'est donc pas forcément un inventeur, puisqu'il peut se servir des inventions des autres. Prenons pour exemple Henri Ford qui était un innovateur alors que Bill Gates a inventé et innové un nouveau produit.

D'après l'interprétation de J. Schumpeter, Henry Ford ne devient pas entrepreneur quand, à 43 ans, en 1906, il est un chef d'entreprise indépendant, mais quand, en 1909, il commence à fabriquer son fameux modèle T, très vite connu sous le nom de voiture Ford 3. Ford est encore entrepreneur quand, perfectionnant la division du travail dans l'industrie automobile, il adopte le procédé du train d'assemblage, usant d'autre part d'une politique basée sur le principe de la baisse progressive des prix, combinée avec l'accroissement du débit. Il réalise alors une combinaison du second type : introduction d'une méthode de production nouvelle.

Pour Schumpeter, l'entrepreneur doit posséder des qualités exceptionnelles pour ne pas être un simple producteur. En effet, il doit avoir le goût du risque, doit être visionnaire et donc capable d'anticiper et de réussir ou non. Il doit être également dynamique, ambitieux, travailleur, passionné, capable de sang froid... Mais, un entrepreneur n'est pas forcément le propriétaire d'une entreprise. En effet, il n'est pas obligé d'être intégré à la structure organisationnelle de la firme. Il peut être salarié. Par contre, le propriétaire de l'entreprise, que l'on appelle aussi capitaliste, doit fournir le crédit nécessaire à l'entrepreneur. C'est donc cette personne qui risque de perdre les fonds apportés en cas d'échec. Mais reste à savoir pourquoi innove t-il ? Il y a plusieurs raisons qui motivent l'entrepreneur. En effet, en situation de concurrence, le profit est nul, il faut donc innover pour récupérer du profit. Par exemple, avec une innovation de produit, l'entreprise sera pricemaker et proposera alors un prix supérieur à la concurrence pure et parfaite. Déplus, avec une innovation de procédés, les coûts de production seront plus faibles et le profit (qui est l'écart entre les prix et les coûts de production) va augmenter. Sauf si on décide de baisser les prix pour accéder à la situation de monopole. L'entrepreneur veut aussi se donner dynamique aux yeux de la société et ainsi créer un empire. Il cherche alors le succès.

 

  • Actualité et limites de la thèse schumpétérienne
  1. - Actualité

Aujourd’hui, vingt ans après la fin de la Guerre froide et l’effondrement des socialismes, un retour sur la démarche développée par Schumpeter s'impose moins par ses capacités de prédiction qui ont été nulles, mais plutôt par l'ampleur même de sa vision qui nous autorise à revenir sur les liens fondamentaux qui lient le capitalisme et la démocratie, et sur leur incompatibilité de principe dès lors qu’il s’agit d’accorder à la démocratie un rôle actif dans la redistribution de la richesse. Plus près de nous, le livre de Schumpeter représente encore et toujours un point de départ fort intéressant et fort pertinent à partir duquel cerner les tourments de ce temps. Le retour actuel à l'analyse de Schumpeter s'explique par la prise de conscience du rôle central de l'innovation dans l'évolution des structures économiques et par la volonté de rendre compte de la crise et de son dépassement. La pensée schumpetérienne permet de mieux comprendre les changements s'opérant au sein des marchés ainsi que la nature des moteurs de la croissance ,en mettant en évidence le rôle du progrès technologique dans les phénomènes cycliques, la pensée schumpetérienne a permis d'expliquer le ralentissement économique au sein des PDEM (Les pays développés à économie de marché).

en effet, à  la lumière de la situation actuelle, le statut de l'entrepreneur tel que Schumpeter l'envisage, ainsi que l'avenir qu'il prête au système capitaliste n'apparaissent pas valides, du fait que  l’évolution de l'économie de marché capitaliste a entraîné au cours des dernières décennies d'importantes transformations dans le rôle et les pouvoirs de l'entrepreneur, et aussi car si la fonction de l'entrepreneur peut paraître menacée, on ne doit pas aller jusqu'à parler, comme l'a fait Schumpeter, de son obsolescence, ni même y voir une des causes de la fin du système capitaliste.

Jean-Paul-BETBÈZE dans son article « Le retour de Schumpeter »  publié en 2008 déclare que le retour de Schumpeter est non seulement revendiqué et recherché mais aussi et assumé, selon lui  il n’a jamais quitté la communauté économique par son analyse des cycles, c’est pourquoi Schumpeter est aujourd’hui accepté, et de plus en plus avec l’idée que les réformes sont obligatoires, que l’adaptation est constamment nécessaire, pour répondre aux goûts des clients, au jeu incessant de la concurrence, aux irruptions du nouveau. Nous avons ainsi vu la nouvelle économie se développer, avec son cortège de nouvelles structures et de nouveaux produits, et de nouveaux comportements. Nous avons aussi vu des entreprises naître en quelques années et qu’elles sont aujourd’hui les plus importantes .nous avons donc vécu des excès, la fameuse bulle Internet, puis la poussière est retombée laissant derrière elle e-Bay ou Google, entre autres, c’est pour cela que Schumpeter est aujourd’hui consciemment recherché, dans le cadre du jeu planétaire qui se développe et dans un monde multipolaire instable dans lequel la copie ,la translation et ensuite l’innovation jouent un rôle décisif. Dans ce contexte on comprend que le combat technologique est décisif pour le futur .les pays développés se lancent dans les technologies de la communication, de la préparation de nouveaux produits et services (marketing créatif), dans l’organisation des informations et des structures, dans ce monde ouvert c’est le triplet logistique-innovation-mise en marché qui fait la différence. Il faut donc retourner à Schumpeter, mais en sachant ce que cela implique, il faut innover aussi en matière d’innovation.

 

  1. - Limites

En contrepartie  l’approche schumpétérienne n’a pas été épargnée par les critiques notamment au niveau de :

  • Sa description de l’innovation qui  est considérée souvent comme éloignée de la réalité du fait que les innovations radicales sont peu nombreuses et rarement spontanées, mais aussi car toute innovation suscite des réactions négatives par le système, qui peut résister au changement de façon vigoureuse.   
  • Le rôle de l’entrepreneur schumpetérien qui était considérer comme surestimé et rare, il correspond à un cas de figure particulier freiné par les critères de recrutements et les diplômes des grandes écoles qui surpassent l’esprit d’aventure. Les taux d’investissements et les dépenses de R&D déterminent en grande partie le progrès technique, et les innovations demandent des moyens dont ne disposent que de grandes entreprises ou des organismes publics.
  • Nous sommes dans une phase B du cycle de Kondratiev alors que nous connaissons un progrès technique important, en fait la crise serait due à une destruction créatrice trop forte, du fait que l’accélération du progrès technique ne laisse pas le temps aux branches de rentabiliser leurs produits et leurs procédés, et alors Les effets destructeurs l’emportent sur les effets créateurs.
  • Schumpeter a  réduit son analyse à l’entrepreneur-pionnier et négligé le fait que d’autres types d’entrepreneur peuvent exister. Par exemple, il est possible de considérer que les imitateurs (suiveurs) qui rentrent sur le marché alors que le produit nouveau se situe au début de son cycle de vie prennent également des risques élevés et contribuent à bouleverser les règles de la concurrence tout comme l’entrepreneur-pionnier.
  • Pour Schumpeter, l’entrepreneur c’est celui qui facilite l’émergence et le développement d’innovations, le processus étant initié par la prise d’initiatives. Mais Schumpeter ne se préoccupe ni des mécanismes conduisant à cette prise d’initiatives, ni des facteurs à mobiliser (caractéristiques de l’entrepreneur par exemple) pour favoriser la prise d’initiatives.

 

Nous pouvons dire de Schumpeter, comme l’avait fait jadis Mercator, pour la géographie et la cartographie,  il a changé notre conception du monde en donnant naissance à l’économie de l’innovation. Il en fixe les fondements et dresse les nouveaux axes de recherches dont les principales orientations portent sur : 

  • Le rôle de l’entrepreneur dans l’innovation
  • L’innovation et les cycles économiques
  • L’innovation et la structure du marché 
  • Le rôle de la grande entreprise dans l’innovation
  • La dynamique d’évolution du capitalisme
  • Le concept de destruction créatrice
  • Les grappes d’innovations, Le lien crédit innovation combinaison productive

 Nombre d’économistes néo-schumpétériens vont approfondir ces différents axes, de sorte que nous puissions affirmer que Schumpeter a véritablement révolutionné l’économie de l’innovation.

Fleche magic showLien pour téléchargement complét de la recherche.

 

 

 

 

 

 

 

 

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